Apprendre, créer, partager, interagir, en présentiel et à distance, c'est vivre, c'est vivre.
Osez !
Ici, en lien, un article publié en chinois et en Chine, puis revu et complété (sur l'oral) : "Derrida, Foucault, Ricœur et l'amour de l'écriture"
Dans les langues européennes, « écriture » (writing, Schrift, escritura,
scrittura) vient d’une racine indo-européenne sker et d’une racine germanique wrt qui ont toutes deux pour sens « inciser, entailler, gratter », marquant par là un
geste sur la matière, qui, autrefois était un support qui résiste (une tablette d’argile, une ardoise, un parchemin). En français d’aujourd’hui, « écriture » signifie à la fois
« graphie »
.... la suite à l'onglet LITTERATURE....
Car.... "On peut tout apprendre du langage en général et des langues en particulier, à travers le jeu, la poésie, l'humour..." (Alice au pays du langage, Marina Yaguello)
NOUVEAU !
ENFANCE, LAST EXIT ! ce récit venu du siècle et du millénaire d'avant : années 80... le Maroc secret, loin des rivages et des capitales chic. un EXTRAIT ci-dessous, et plus en lien :
Présentation : tu ne pleures plus et, après un plateau de latence ou d’irréalité, tu mesures l’ampleur du deuil ; tu considères le vide alentour et ce qu’il reste : explorer, mesurer, rencontrer – créer ? en vrac ou délires, et plus tard, longtemps après. Au Niagara du millénaire en vue, et après, bien après. Résumé : Sergueï et Noémi, une enfance liée : sortis de la fac, licence en poche, 1981 – et après ? Le vieux monde est en casse ou illusions. Les deux filent au Maroc sur un plan boulot, et là, rien ne se passe comme prévu – ou plutôt imaginé : amour, vie et avenir, tout éclate et se recompose… jusqu’au pire, et plus. Alors renaître ? Ou pas.
310000 signes, esp. n. c.)
« J’étais mal partie à vingt ans – on part toujours mal à vingt ans » (Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts, 1980) « Mon âge, ma bête fauve, Te regarder au fond de tes yeux Et souder de ton sang Les vertèbres de deux siècles » (Ossip Mandesltam, Le Bruit du temps, 1925)
Il venait de mon enfance, et nous sommes partis ensemble Arrivée en pleine tempête de sable et phosphate Pourquoi venir ici - entre révoltes populaires, tempêtes et amours… Notre propriétaire, ami du roi, et le ferrailleur, personnalités D'où vient ce monde descendu de l'Atlas pour faire fortune et vie ? Logés en médina (vous êtes fous!) chez El Oumami, ami du roi Regarder, vivre, contempler partager… autant que possible 7. Nouveaux, et c’est comment ? Au lycée : la rentrée, cet élève poète, extraordinaire : l'aimer ? Le couple venu de l'enfance ? les amours divergent Couple en fissure, amours autres, métier au lycée La mosquée, les collègues, le cinéma, une vie modeste et magique, or-dinaire un grand écart mental et sensuel, musique, aventures 12. Ici/là-bas inversion & dévers 1981 en France / et ici; projets de thèse en voie d'explosion Faire sa cartographie avec ses pieds, arpenter ce monde Ici sont les vivants, les vrais, et au bidonville… Ce qu'il se passe, et aussi avec Raki, l'amour 16. Et classe, fais tes… (suite) Les Fêtes, au Sofitel avec Si Ahmed, et des chirates 17. Baffes de vie sur-ordinaire Balade d'un dimanche et accident, flics, magouille, hôpital Avec les gendarmes vendus ; et crise de Sergueï, séparation ? 19. Femmes entres elles et plus Accidentée, visite des femmes ; le petit fou, et la pluie enfin ! 20. Vers le sud, Brahim d’avant Revenir au passé adolescent de Sergueï pour renouer ? Aux bords de la rivière Ourika, flancs de l'Atlas 22. Le pire en Occident, c’est… Le malheur et le deuil d'enfance, fin d'un rêve ? 23. Chez nous, après l’ami Atlas Blessée, le félon en face et sa trahison : partir, Rabat ! Clopinante et seule au souk, ivresse du trop-plein ! Partir seule en bus noir et rouge, yeah Amant, orchestre, et mer et fête La classe, la pluie, les prêches intégristes Raki revient, avec la tempête et l'inspecteur M. Dieu 29. Invitation à, pour… rien ? Invitation de raki à la maison dans le douar, oui, seule Raki revient, c'est trop; mais arrivent deux hippies..; Provocations, écarts sociaux ; logique et terrible "l'amour, ah l'amour !" (un élève) 33. Compromissions, conscience Bourses pour la France et inégalités (les filles…) + fête Chantage et menaces, pff… Les élèves ; et les folies de Sergueï, autre voiture ! Les deux + descente à Casa, fêtes Encore une autre voiture, DS Break, ambulance 38. Des voitures, encore ? stop ! Incroyable, c'est vrai ! Et le 1er avril est passé 39. Passer, passer…vers Ceuta douane, magouilles Mon regard du dehors : ils sont deux dans la caisse 40. Ceuta-ville Petit-déjeuner en terrasse, blêmes, étrangers, enfance finie, Nous avons repris la route vers Chefchaouen, Fes, Meknes 42. Sauvés, humanité millénaire Alors vint Brahim. Pas celui de la rivière Ourika, un autre 43. Bienvenue en temps séfarade Le bousbir était une sacrée affaire selon Sergueï 292 EXTRAITS(page 11) « Un matin de mars 1982, il est en face de moi. Grand. Debout au seuil de son audace, être, sourire et demeurer. Lui, Raki, musicien céleste et libre, élève aussi, et bientôt amour tu. Debout. À la verticale d’un vertige entre puits de lumière et sols en bleu. Le flot solaire dévalait les étages en cascadant de joie. Il n’avait pas frappé, mon musicien. Seule sa respiration. J’ai ouvert la porte. La lumière avec lui est entrée. Alors ? C’est une histoire, elle revient de loin. »
(p. 13) « Histoire vraie ? Écrite elle se fait fiction en formation. Parmi d’autres, en vrac et désordre. Laissons exister ce qui vient et, en résonance, ce qui fut. Alors on ne savait rien de la mort à venir, et rien des amours inopinées. On le disait, un jour on partirait. Pour se donner une contenance, on bricolait, photos et voyages, l’aventure, oh la lumière rouge au-dessus de nous focalisés sur nos négatifs en bain de révélation – plus personne ne connait les manip’ justes. À présent, j’ose. Il en a fallu des morts et des éblouissements, alors on ne se sent pas rêver, on existe. Ironie modeste, un des messagers de ce Marathon fut Jiguen Oualou (j’y gagne rien, que dalle), le colporteur au cou chargé de liens, j’en ai rêvé longtemps, énigme à tiroirs, et son chapeau se confondait avec ceux de la place J’maa ‘l Fna – comme elle était avant la tourista-mania. Last exit…Et me voilà, errante et songe. » (p. 11) « Hic sunt leones. Ici commence l’illusion : avant les lions. Jadis les voyageurs évoquaient les lions pour parler de territoires inconnus. Mais nous n’étions que des mal grandis. Nous lisions, quand même. Lamalif, revue intelligente et ancrée au Maroc depuis 1966 – mais sans doute pas dans les zones sans nom ni autorisation de vivre. La revue ne disait rien des humains parmi lesquels nous avions commencé à vivre. Je voulais leur écrire, et puis non : française, donc illégitime à dire. Et voilà pourquoi j’ai rédigé ce texte en demi-secret, pour un neveu des deux rives. Un gros cahier perdu retrouvé au hasard d’un déménagement, avec les sensations, elles reviennent au fil de la reprise, un besoin de dire juste ; et le respect. D’abord aux premiers sur place. Il y a eu des natifs descendus de la montagne Atlas, et en écho savant multilingue arabo-berbère, un certain Jacques Berque reviendra dans les années cinquante étudier le droit coutumier local avec sa manière de résoudre les conflits et réguler la vie sans l’empêcher d’advenir. Bien plus tard, il sera titulaire Collège de France (vous savez ce bâtiment en face les magasins du Vieux Campeur) et un jour j’irai le voir, ses savoirs et sa vie sont démesurés : il est vieux et il a fait quelque chose de son âge ; donc on peut ? Il dit Oui, et cite des dynasties de l’Atlas, dont les Seksawa qu’il a étudiés en séjournant parmi eux. »
« …le regard va se perdre en un vivant ruisseau sur les mille secrets de la ville, autres terrasses, kanouns où veillent les feux du crépuscule, grande eau des robinets de cuivre ou laiton glissant sur les carrelages, linge agité au vent du ciel, enfants qui jouent, femmes recluses, cils baissés, bijoux capteurs d'éclats, mains brunies de henné triant à grandes secousses les sacs de jute contenant le blé du regain. Et puis la rue, les trottoirs, les cours et débarras, le flot des gens qui marchent, se souviennent, remâchent, espèrent, ils sont anciens combattants de l’été dernier en révolte au souk, attentistes ou chercheurs d’occasions, indics ou flics, jeunes ou moins jeunes. En attente, tous en attente. Vers six heures, lorsque le soleil plonge en silence derrière la verticale des murs, tout ce monde sort reconstituer et célébrer la grande foule du Nous tous, dans la main de Dieu, déployant ainsi l’oubli des douleurs dans l’unique grand brouillard mémoriel. Tout le monde, oui, sauf les vieux assis en retrait au bord des portes, comme à un ordre secret indéfiniment réverbéré jusqu'aux horizons chavirés de lumière ensanglantée. La nuit, bientôt affalée comme une voile noire. La ville frémit, et de même la présence d’El Hadj dans notre dos, muet d’extase corsetée. On comprend ? Nous être touristes longue durée, mais lui, vrai ; debout sur sa terre, son enfance et sa vie tout entière. » « La salle des professeurs est un réduit sans fenêtres, il y a une table carrée bancale et des tabourets où les profs peuvent venir écrouler leurs coudes et leur tête lorsqu’ils ont trop fumé. Des verres à thé cernés de gris à l’encolure stagnent ça et là, au milieu des cahiers de texte pour chaque classe, on y trouve les listes d’élèves et les emplois du temps. Attendez, non - si ? j’ai cinq classes sur trois niveaux, dont trois de Bac, et la moins nombreuse compte 59 élèves. Maximum : 70. Et si on se mettait dans le bain ? enfin le bain - l’air est plus sec qu’un balai de crin. Les salles de cours ont des vitres virtuelles ou brisées, la porte a été attaquée au couteau, quelquefois arrachée de ses gonds. Il manque des pupitres et des chaises (ça va venir, ça va venir, demain, demain… susurre une voix, le proviseur, que je salue, tandis qu’il regarde au loin derrière mon épaule). Le mobilier restant est dans un état de démolition avancé, les tableaux noirs sont rongés, creusés, déchiquetés, fouaillés, torturés, comme si c’était une tare d’être posé là en forme de tableau muet dans une salle dite de classe. » (p. 33) « Le lycée - une salle rectangulaire, un tableau esquinté, quatre murs bardés de chahadas et identités, des vasistas aux carreaux cassés avec soin (ces chasseurs dans l’âme visent sacrément bien), une porte semi-arrachée, des pupitres étroits qui de longue date n’en peuvent plus de servir de support d’entraînement quotidien des adeptes de Bruce Lee, des chaises claudiquantes ou en charpie et une cinquantaine de petits cocktails Molotov, “adolescents de zone spéciale” disent les sociologues urbains chic. Dès qu’il y a de la vie, il y a de l’enseignement. On construit une usine, on ouvre des mines, et hop, dans la foulée une école se lève. Il faut bien parquer les petits d’homme qui n’ont droit ni à l’usine ni à la maison. Nous, profs, sommes les gardiens plus ou moins vaillants de cet immobilisme, sans autorité ni menaces et sans trique, juste nos petits nerfs pour faire en sorte que l’explosion ait lieu oh, juste un peu plus tard, à la sortie du cours, demain, après, on verra bien, ou alors si possible jamais – ou tout de suite, et que ça SAUTE ! Le prof. se tient derrière un bureau en béton armé, sale, mais intact, sur un tabouret de même facture, froid mais asseyable, il cause d’autre chose, dans une autre langue que la native, c’est son boulot, le nôtre, on a signé. » (p. 44) « Un grand mariage Et allez ! Que vivent les bouffes de comblement, pâtisseries, viande, semoule, pastilla et tajine, elles sont d’une profusion inhumaine lors de cérémonies festives de délestage en union fusion, dont une certaine contrainte de tenue en forme de défi n’est pas absente. Peu après notre arrivée, lors d’une soirée de fête de mariage El Oumami, qui se tenait sous une tente bédouine montée pour l’occasion dans les jardins du Gouvernorat, nous avons été placés en hôtes d’honneur près d’el hadj, sous le regard luisant des musiciens et récitants, tandis que des hommes en tenue chamarrée font circuler à bout de bras haut levés des plats de cuivre larges comme des disques solaires. La musique enfle et enfle, les plats circulent toujours, tandis que çà et là un enfant s’échappe, vite rattrapé par une main féminine. Soudain une voix impose silence à la musique, pour un discours que je capte à demi, mais les mots ne sont pas tout, d’ailleurs ils cessent. Un homme s’avance, il porte un plat précieux jusqu’au maître de maison, mais non, vers Sergueï et moi, ses pas sont rythmés par les percussions de plus en plus rapides tandis qu’il s’incline en face de Sergueï, l’homme : luisent et bavent sur l’argent ouvragé six yeux de moutons – plat d’honneur pour les hôtes et signe du nombre de bêtes sacrifiées. Ce tremblement au coin de sa bouche et son teint virant au gris vert comme si le mouton c’était lui, je les connais – il tomberait dans les pommes, Sergueï, son corps s’effondrerait ? Les percussions reprennent de plus belle, au rythme d’un cœur martyrisé, il va falloir faire quelque chose, il est pétrifié de peur, l’enfant homme de mon enfance. Il est petit, vraiment. Et moi, ai-je grandi ?Je tends la main droite, me saisis d’un œil et l’avale, tout rond, sans une pensée pour son trajet interne ; les percussions retiennent leur souffle, nous sommes deux, donc un deuxième œil attend, je le soulève et le porte à ma bouche ; il me regarde et il est mort, moi vive. Des applaudissements éclatent, le plat passe aux autres invités honorés, Sergueï reprend vie. Je ne vomis pas. Les fêtes servent à continuer, s’habituer, être acceptés. » (p. 80) « Réveil difficile et tendre, un enfant est penché sur mon visage et me regarde. Curieuse enfance… une petite fille : elle ne cherche pas quoi voler, je n’ai rien, sauf dans mes poches de jean, elle observe mon visage, approche même un doigt sur ma joue droite, mes yeux… Sourire. Un instant suspendu, allez, il faut se relever, ne pas laisser faire n’importe quoi. Sergueï revient vers moi, Ça va mieux ? Sa main sur ma joue, un sourire comme après chute en judo, il me tend la main droite, et passe la gauche derrière ma nuque. Si je l’aimais ? On n’aime pas un meuble, on vit avec. Alliés depuis l’enfance, on se connaissait à peine. Il ne s’agissait donc pas de moi ni de lui dans cette histoire qui nous rapproche au quotidien – mais alors qui, quels fantômes ? Ce garçon m’est étranger, enfance finie, out, passée. Dans quelques heures, c’est l’anniversaire d’Austerlitz, la bataille, pas la gare. Une grande mâchoire absurde nous tient dans ses bajoues tout contre ses dents, chut ! quand la peau du monde s’énerve et qu’on a pris la mauvaise place, surtout ne pas bouger, ça serait pire. Je le regarde, tout de noir vêtu, polo et jean, on dirait un vautour, il en a la silhouette attentive et millénaire, petite tête sur grand corps, et pourquoi il s’obstine avec le noir, ça m’échappe. Je n’ai rien à faire avec lui, je lâche : – Sergueï ? Tu as essayé de me tuer ? Le choc, à droite sur moi, et sur Fred. Et à gauche, rien. C’est normal, ça ? (p. 136) « 36. Retour ou re-tour ? Sur le plateau, les blés sont en herbe, on dirait des chatons jeune-nés, robustes et résolus, forts à fond dans leur amour de la vie. Moi aussi ! Le soleil joue dans le pare-brise et j’y suis posée en veille regard, une abeille plaquée or. Le long des routes, avec un berger de dix ans, les troupeaux n’ont jamais été si nombreux. Ils avaient pris l’habitude de manger dans les décharges et voici qu’à nouveau les pâtures sont tendres et pleines. Il y a des fleurs dans les fossés, autant que de trous sur la route, la voiture dont je ne retiens pas le nom ronronne comme un animal familier. Regarde, dis-je à Sergueï, regarde, c’est l’époque des naissances chez les moutons ! – Oui. Sans plus. Mais il s’émeut pour quoi, mon complice d’enfance devenu si distant, si solitaire, derrière son image de beau mec teigneux à qui on ne la fait pas ? Derrière son front haut et son profil de pierre, rien ne filtre, ou je ne sais pas lire. Oh je voudrais, rien qu’une fois, le voir rire et pleurer à nouveau, se mettre en colère et je saurais qu’il est toujours vivant et homme ! Envie d’enlacer un mouton, le berger aussi, tiens, envie de me rouler dans l’herbe et jouer avec le chien tendre, méfiant et plein de tiques, envie de manger le printemps-monde, herbes, fleurs et blés, en dessert les anémones et les iris nains, et la terre aussi, la terre tiède et ferme, et même ma main, stupide et mienne, ou celle d’un autre, oh mordre l’étrange chair autre, entailler des dents le corps de l’autre ! Folle, je suis, et violente cannibale. Même en avançant patte de velours je lui fais peur, je le fais fuir vers les morues, loches et tanches, toutes ces squaws habituées à manipuler l’homme pour le faire rendre un max. Je devrais rogner mes griffes ? Autant faire comme Mickey mouse, mettre des gants, éviter de les perdre au détour des chemins. J’ai du mal à civiliser mes sens, et de même mes hontes. Drôle d’éducation, il vous est peut-être arrivé quelque chose, mon enfant. » (p. 154) « Il est normal que ce soit moi qui offre, en femme française, il est acquis que je possède à profusion et qu’à la différence des hommes j’ai plaisir, joie et devoir à donner. Donner n’importe quoi, un sourire, de la douceur, la peau de ma main droite, ma nuque offerte aux regards en biais, donner des gâteaux et des chewing-gums, des olives, amandes et fruits secs, même si les deux compères ont tout ça au fond de leur sac nylon, gâteaux, olives, amandes et fruits secs. Alors je donne. Je donne pour voir trembler la main qui prend, souvenir enfoui du temps d’enfance, temps mythe où les nourritures étaient gratuites. Sergueï est à ma gauche, je lui allume ses cigarettes, bonne copilote. Mais pourquoi suis-je dans cette caisse, à la droite du conducteur, dite place du mort ? Quelque chose me dépasse, mais quoi ? Il y a peu, j’ai fait un drôle de rêve, oublié revenu en bribes. J’étais la petite icône sœur de Raki, je me tenais assise sur le trottoir parmi les chiens, les poubelles et les mendiants, mes béquilles pas loin, et je déchirais avec méthodes mes ongles et mes doigts. Au-dessus de moi s’étalait une vitrine gorgée de nourriture, de bijoux et boissons, lait, alcools, hydromel… étrange et nécessaire alliance de couleurs et de santé. C’était chez moi, je le savais de source sûre, oui, et j’étais en bas de chez moi, dehors, juste en face. À la rue, sortie de mes gonds et mes ruses, hors de moi. En grève d’être ; je ne voulais plus écrire, plus remplir ma charrette de mots à usage interne. Et j’avais des bouts de rêve entre les dents. Est-ce que je votais la mort ? En la redoutant, unique solution pour vivre, en tangente borderline ?
Nous filons vers Ceuta, terre d’Espagne. Rannah dans le rétro semble flipper à tous les tournants. Sans raison dicible, Sergueï conduit appliqué. Mais pour Rannah, c’est encore sa voiture ! Un instant, je me pose la question de savoir si elle est assurée. En cas d’accident… la carte grise est au nom de… non, non. » (p 200) « Raki n’est jamais reparu à Kouribga, donné pour mort, il aurait finalement survécu et filé, Mauritanie, Espagne, Suède, Lybie, rien n’est sûr. À chaque époque ses formats d’espoir et de nostalgie, mais autour de celle racontée ici, quelques dizaines d’années se tiennent la main pour un effort immense, allumer un ciel neuf. L’époque dont je parle est rude et rieuse, il s’agit de construire un autre monde et la vie qui va avec. On arpente les sols comme s’ils étaient à nous. Ils le sont, puisqu’on les soigne, plante et habite. Personne n’est étranger, personne n’est interdit. C’est, c’était notre ancien rêve clos. Seul ce qui est clos peut voler en éclats. Autrement dit naître, et accoucher. Mais face aux forces de destruction manipulation mondiales, nous n’étions pas les plus forts : partir apprend qu’il n’est point d’abri à la mondialisation, sauf en actes et solidarités…Bien plus tard, il y eut Malika, une autre ; c’est à Rabat ville basse, dans une cour ancienne où circulent des odeurs croisées, jasmin et orange, Malika me sert : Un raki, tu veux ? je bois, d’un coup, zlup. Attends, il faut mettre de l’eau, tu sais bien, c’est fort. Trop tard. Tant mieux et que vive la mémoire. Brûlure éblouissante comme un barda déposé ! alors les poumons se déploient, ailes, lumière et liberté du souffle ; en arrière-gorge, l’absolu de cet alcool circum-méditerranéen. Les grandes affaires sont ainsi, communes et merveilleuses. Seul ce qui n’a pas été vécu au plain peut sans doute être écrit, voir Le Grand Meaulnes. Le reste est rapport d’activités et essais avant extinction des feux. »
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Le sérieux et le sourire
n'excluent pas la détente...
Une vie transparaît ici, entre études, recherche et création
SAVOIR-VIVRE...
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Deux ouvrages en présentation : https://www.amazon.fr/L%C3%A0-laventure-garde-yeux-clairs-ebook/dp/B01GA5LWL4/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=Marie+Berchoud+L%C3%A0+o%C3%B9+l%27aventure+garde+les+yeux+clairs&qid=1626162017&s=digital-text&sr=1-1
En suivant ce lien, vous pourrez lire davantage de détails sur cette chronique (y compris la présentation en 4e de couverture) et on verra que les migrations familiales nous poussent, consciemment ou pas (?) à aller voir ailleurs; il y a aussi les paroles des parents... "la guerre est finie", mars 1962, et il est question aussi de toutes les guerres.